Le soutien de la majorité des Français au mouvement de grève du 5 décembre contre la réforme des retraites traduit une méfiance généralisée dans notre système économique et social, défend l’entrepreneur Guillaume Cairou. Seule une politique de croissance et d’emploi saurait en venir à bout.
Alors que le gouvernement entend rétablir l’équilibre du système de retraites avant le lancement du nouveau «régime universel» en 2025, les débats s’hystérisent autour de l’intérêt de la réforme des retraites et des économies à réaliser avant sa mise en place. Comme si nous acceptions que le destin français soit de laisser croître des inégalités ou de perdre moins à défaut de gagner plus, comme si la France n’était pas la France !
La retraite incarne la fraternité du peuple français
La retraite n’est pas un droit fondamental car elle est bien plus que cela. Contrepartie d’une vie de contribution à la richesse nationale, elle est le ciment de notre contrat social. Elle a fait de nous la sixième puissance économique et un des peuples les plus influents de la planète. Mais malgré les dépenses sociales les plus élevées du monde avec 31,5 % du PIB, la nationalité la plus enviée selon le Quality of Nationality Index, le territoire le plus visité, des capacités universitaires, scientifiques et techniques exceptionnelles, notre grande nation n’a plus confiance en elle-même.
La grève est soutenue par une majorité de Français. Cela traduit surtout la défiance, maintes fois constatée ces dernières années, du peuple envers ses représentants politiques. Plus surprenant, une étude de HSBC affirmait en 2017 que 44 % des jeunes pensent ne pas bénéficier de la retraite. De quoi mesurer la rupture du lien de confiance générationnel entre les Français eux-mêmes, et le danger pour la pérennité de nos valeurs de solidarité et de fraternité.
La confiance ne se rétablira pas tant qu’un sentiment d’égalité ne sera pas retrouvé.
Pourtant, ces inquiétudes ne sont qu’à moitié fondées, et pour partie fantasmées. À ce stade, discuter des chiffres ne calmera pas l’anxiété. La confiance ne se rétablira pas tant qu’un sentiment d’égalité ne sera pas retrouvé. L’évolution de notre système de retraites doit tendre vers cet idéal républicain, en prenant en compte les transformations du travail.
La réforme de notre système se fera au nom de l’égalité
Les débats sur la réforme des retraites opposent un système universel, égalitaire, voulu par le gouvernement, aux régimes spéciaux défendus par les syndicats. Mais la situation est plus complexe. Les régimes spéciaux ont souvent été mis en place par l’État dans ses propres entreprises, et l’immense majorité des salariés défendus par les syndicats n’en bénéficient pas.
Les salariés concernés sont légitimes à réclamer le respect des règles en vigueur à leur embauche mais, en même temps, les syndicats de salariés doivent admettre que les régimes spéciaux ont créé des inégalités et des injustices pour la grande majorité des salariés qu’ils représentent. L’application de la réforme des retraites aux nouveaux entrants apparaît comme l’issue la plus pragmatique et la plus juste, à moins que les salariés des régimes spéciaux soient prêts à des cotisations complémentaires pour financer eux-mêmes leurs avantages ?
Comment les organisations syndicales peuvent-elles demander le maintien des régimes spéciaux déficitaires, financés par les impôts des Français qui n’en bénéficient pas, qui participent à la crise de confiance des nouvelles générations envers notre système et qui pourraient à terme mettre en péril les allocations de tous les travailleurs? De l’autre côté, comment l’État peut-il considérer comme une fatalité le creusement de ce déficit, en s’appuyant simplement sur des projections qui ne prennent pas en compte les moyens d’augmenter les recettes, en se contentant d’annoncer qu’il faut réaliser des économies?
L’emploi pour la liberté de construire notre avenir
En ce début de crise sociale, en s’appuyant sur le rapport du Comité d’orientation des retraites qui table sur un déficit de notre système compris entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros en 2025, le Gouvernement se borne à demeurer sur le terrain comptable. Cette stratégie ne saurait produire d’effet favorable, aussi pédagogique soit la méthode. Les régimes spéciaux posent d’abord la question de l’égalité des Français face à la protection sociale de demain.
Les ambitions européennes du Président de la République pourraient par exemple s’orienter vers la Banque centrale européenne.
La recherche d’un équilibre durable de notre système de retraites doit s’appuyer sur un plan massif pour l’emploi, construit avec les partenaires sociaux, dont les moyens seraient à la hauteur des ambitions. La transition numérique est stratégique: elle façonne l’industrie, les services et les formes d’emploi de demain. L’État doit en être le premier acteur afin de permettre la création de millions d’emplois ; 86 % des entrepreneurs français sont favorables à ces investissements publics d’avenir, selon un récent sondage du Club des entrepreneurs.
L’horizon est à cinquante ans et les investissements à réaliser se chiffrent en centaines de milliards d’euros. Pour ce faire, les ambitions européennes du Président de la République pourraient par exemple s’orienter vers la Banque centrale européenne, quitte à changer quelques règles comme l’interdiction du financement d’États, que la BCE contourne déjà en rachetant massivement des titres de dette publique sur les marchés financiers.
Le moyen le plus sûr de vivre mieux n’est pas de dépenser moins, mais de gagner plus. N’excluons pas la possibilité que nos enfants vivront mieux que nous, avec davantage d’emplois et de protection sociale ; exigeons-le, même. Demain, nous vivrons mieux plus longtemps: si ce n’est pas encore une réalité, telle est la noble responsabilité que nous devons porter pour la France et les générations futures. La réforme des retraites seule ne traiterait qu’un symptôme qui ressurgira plus brutalement si la France ne retrouve pas son esprit de conquête.
Tribune à retrouver sur Le Figaro Vox