Burn-out reconnu maladie professionnelle : débattons-en, mais sur des bases solides…
LE CERCLE. Fin janvier, le cabinet Technologia rendait publique une pétition électronique appelant à la reconnaissance du burnout comme maladie professionnelle. Cette proposition, largement médiatisée, a le mérite d’ouvrir le débat mais pose, pour le spécialiste, différentes questions.
Fin janvier, le cabinet Technologia rendait publique une pétition électronique appelant à la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Plus précisément, il s’agit d’ajouter trois tableaux de maladie professionnelle au Code de la Sécurité sociale : la dépression d’épuisement, l’état de stress répété conduisant à une situation traumatique et le trouble d’anxiété généralisée. Cette proposition, largement médiatisée, a le mérite d’ouvrir le débat sur une véritable question de société et de santé publique. Pour le spécialiste, elle pose toutefois différentes questions.
La définition la plus couramment admise du burn-out y voit un processus répondant à un stress chronique et englobant trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme et la baisse du sentiment d’accomplissement personnel, l’épuisement émotionnel semblant constituer la plus fondamentale. Or, l’étude Technologia porte majoritairement sur le « travail excessif ou compulsif », c’est-à-dire sur le workaholism (pouvant il est vrai mener au burn-out, même si sa contribution à l’épidémiologie générale du burn-out est probablement limitée). Autrement dit, elle opère un glissement sémantique et conceptuel qui ne peut qu’inciter à la prudence quant aux résultats communiqués et aux conclusions tirées.
Le burn-out est un concept issu de la psychologie sociale du travail et de la santé, mais sans véritable existence ni reconnaissance médicales : dans la diversité ou l’intensité de ses causes comme de ses manifestations, le burn-out varie bien trop considérablement d’un individu ou d’un environnement de travail à l’autre, pour cela… Le burn-out ne répond donc pas à la définition médicale d’une maladie (schématiquement : un agent causal, une histoire naturelle, des signes cliniques dont l’agencement est évocateur et constant, et éventuellement un traitement). En clair : pour être reconnu en tant que maladie professionnelle, le burn-out devra d’abord répondre aux canons de la science médicale. C’est sur cet obstacle qu’avait déjà buté le Conseil d’orientation sur les conditions de travail, qui avait expressément exclu le burn-out lorsqu’il avait préconisé en 2013 de créer trois nouveaux tableaux de maladies professionnelles pour faire évoluer la prise en charge de la souffrance psychique liée au travail : la dépression d’épuisement, l’état de stress répété conduisant à une situation traumatique et le trouble d’anxiété généralisée, propositions qui resurgissent aujourd’hui…
Le débat qui est lancé est pourtant majeur, et il faut savoir gré à Technologia de l’initier. Ne pas être malade n’enlève en effet rien à la réalité de la souffrance d’une personne atteinte de burn-out, ni à son éventuelle incapacité de travailler… Pour parvenir à une prise en charge financière et sociale satisfaisante, il n’y a sans doute techniquement guère d’autres choix que de faire entrer de force le burn-out dans une grille de lecture médicale.
Dans un tout autre ordre d’idées, Technologia propose d’instituer une présomption d’imputabilité du burn-out à l’organisation du travail, donc à l’employeur, et induit le transfert de l’indemnisation du régime général de la Sécurité sociale vers sa branche Accidents du travail / Maladies professionnelles, posant une double question quant à la position de l’État. D’une part, la justice sociale imposent que la réglementation et la jurisprudence à venir garantissent les mêmes droits à toutes les catégories de travailleurs – salariés du régime général, mais aussi indépendants, chefs d’entreprises (y compris agricoles) ou encore fonctionnaires des trois fonctions publiques, particulièrement exposés. L’État employeur devra donc nécessairement mettre la main à la poche.
D’autre part, un pan entier de causes majeures du burn-out relèvent, au moins partiellement, de la responsabilité de l’État et il semble délicat, voire illégitime, de demander aux employeurs seuls d’en assumer l’indemnisation. L’impuissance des États nationaux à juguler certains effets délétères de la mondialisation et de la financiarisation n’a besoin que d’être mentionnée. Mais la rationalisation des politiques publiques mérite d’être relue au regard de son impact sur la santé au travail.
Surtout, la bureaucratisation rampante du fonctionnement des organisations gagnerait à être attentivement réexaminée : les innombrables procédures paperassières nées des politiques de qualité, de certification, de normalisation, de gestionnarisation, d’évaluation, etc., si elles répondent à un objectif initial totalement légitime, induisent également un accroissement de la charge de travail de chacun (avec la complicité des nouvelles technologies), et finissent par détourner ou vider certains métiers de leur sens – voire par créer des emplois entièrement vides de sens !
Nulle trace ici de su-rengagement ni de workaholism : cette surcharge de travail inutile ne produit qu’ennui et perte de l’idéal professionnel, vecteurs plus quotidiens de burn-out…
Source : Les Echos