Si le gouvernement ambitionne de retrouver le plein-emploi d’ici cinq ans, cet objectif ne peut cependant pas se suffire à lui-même. Pour Guillaume Cairou, président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines et vice-président de la CCI Paris Île-de-France, notre politique de l’emploi doit être actualisée, en intégrant dans chaque territoire les nouveaux enjeux de société et en s’axant prioritairement sur les métiers qui y répondent, pour permettre aux entrepreneurs de recruter les talents dont ils ont besoin.
De nouveaux métiers d’intérêt général
« Bataille pour l’emploi », « inverser la courbe du chômage » … Arlésienne de la vie politique nationale post-Trente Glorieuses, le retour du plein-emploi figure à nouveau en bonne position sur la feuille de route de l’actuel Exécutif. Mais en cinquante ans, bien des choses ont changé. Les opportunités économiques d’abord : 85 % des emplois de 2030 n’ont pas encore été créés, les nouvelles technologies se hissant largement en tête des domaines d’avenir. Les contraintes ensuite : désormais « la maison brûle » un peu plus chaque été, les ressources rares n’ont jamais si bien porté leur nom, le tout dans un contexte extérieur incertain et une situation intérieure de fractures territoriales. Opportunités et contraintes prenant place dans une même équation, le plein-emploi ne doit en conséquence plus être recherché pour lui-même, et son retour ne constituera nullement un critère de succès, une fin en soi. Plus qu’avant, la politique de l’emploi doit devenir un moyen de répondre efficacement aux impératifs sociétaux d’aujourd’hui et de demain, en accompagnant toutes les transitions : écologique, énergétique, territoriale et numérique. En ce sens, il est urgent d’orienter nos efforts vers les nouveaux métiers d’intérêt général et de valoriser les professions œuvrant directement à l’établissement d’un modèle socio-économique plus soutenable et durable.
Cela posé, opportunité et contrainte ne s’avèrent pas irrémédiablement antinomiques. C’est même tout l’art des entrepreneurs que celui de savoir marier les deux, de faire d’une contrainte une opportunité. Et fort heureusement, le terrain actuel est fertile. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les réponses à apporter à l’urgence climatique créeront 540 000 emplois en 2030 et jusqu’à 900 000 d’ici 2050, principalement dans la rénovation énergétique des bâtiments, les énergies renouvelables, l’agritech et l’économie circulaire. Le numérique, eldorado de l’innovation, n’est pas en reste : sur les 530 000 emplois existants, 80 % sont des postes de cadre et 93 % sont des CDI. Le ministère du Travail ne prévoit rien moins que 115 000 créations nettes de postes d’ingénieur en informatique d’ici 2030, pour répondre aux enjeux de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle et du big data. Or, nos réponses à ces enjeux prioritaires sont actuellement insuffisantes, en particulier celle de la rénovation thermique des logements, reconnue bien trop lente par l’Ademe. Face à l’urgence, il appartient donc à l’ensemble des acteurs publics et privés de l’emploi de se mobiliser en faveur de ces secteurs prioritaires, en capitalisant pour cela sur la différenciation et la spécialisation territoriales.
Exploiter les richesses naturelles et humaines des territoires
La gestion controversée de la crise sanitaire a démontré plus que jamais la nécessité de faire davantage confiance aux acteurs locaux, véritables connaisseurs de leur territoire, l’État central devant n’être bien souvent qu’un soutien plutôt qu’un décideur éloigné du terrain. C’est à ces acteurs locaux qu’il revient de dresser le grand inventaire des opportunités et contraintes propres à leur région, leur département, leur commune et intercommunalité. Dans cette tâche, le réseau consulaire – Chambres d’agriculture, Chambres des métiers et de l’artisanat, Chambres de commerce et d’industrie – sera évidemment l’interlocuteur privilégié des décideurs publics, grâce à sa position de premier partenaire des entrepreneurs et de fin connaisseur des territoires. A l’aboutissement de ce véritable processus d’ingénierie territoriale, une simple carte pourra résumer les stratégies d’implantation à long terme des différents éléments-clés d’une réindustrialisation réussie de notre pays : les régions riches en forêts pour le renforcement de la filière bois, les zones en friche industrielle pour l’accueil d’usines de production de batteries électriques et d’hydrogène vert, les métropoles pour la création de centres de recherche de portée mondiale, etc. En quelques années, nous pourrions voir nos « territoires fragiles » devenir des « territoires agiles », capables non seulement de s’acclimater aux transitions en cours, mais surtout d’accompagner ces dernières. Les décideurs locaux ont pour ce faire à adopter des politiques publiques incitatives à l’entrepreneuriat et à l’innovation, au travers de la fiscalité ou encore de l’aménagement des nouvelles mobilités sur leur territoire.
Bien sûr, l’État ne sera pas en reste dans cet effort territorial conjugué au niveau national. Deux réformes annoncées par l’Exécutif peuvent déjà soutenir efficacement ce projet. La mutation de Pôle emploi en agence « France Travail » et la réforme de l’assurance-chômage s’accompagneraient utilement d’une nouvelle stratégie de formation prenant ouvertement le parti des métiers d’avenir, dans une logique là encore d’incitation des chômeurs et salariés en reconversion à suivre des formations à cet effet, puis à s’implanter dans les territoires en forte demande. Le réseau consulaire, deuxième opérateur de formation après l’Éducation nationale, sera en tout cas au rendez-vous sur ce sujet. Résoudre les difficultés actuelles de recrutement apparaît comme une étape essentielle au renouveau économique et social de la France. Nous devons alors former des centaines de milliers de talents de demain à l’agritech, à l’éco-conception, aux bâtiments durables et aux villes intelligentes. En attendant une plus grande implication des ministères concernés sur ce dossier, les acteurs privés défrichent le terrain en proposant des solutions innovantes d’appariement entre offre et demande locales de travail dans les territoires en reconversion, à l’image du dispositif « Explor’aire » développé par Talent Solutions, Manpower et la start-up Neobrain. Mais qu’on en soit assuré : la construction d’un nouveau modèle socio-économique solide, durable et solidaire ne sera possible qu’avec l’implication de l’ensemble des acteurs, publics et privés, de la formation et de l’emploi. Nos entrepreneurs sont d’ores et déjà à la manœuvre pour transformer nos territoires. Sachons-leur en donner les moyens.
Guillaume Cairou, président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines et vice-président de la CCI Paris Île-de-France