Pour Guillaume Cairou, président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines et du Club des entrepreneurs, il est plus que temps pour notre pays de se réconcilier avec le capitalisme et sa plus belle création : l’entrepreneuriat. Il appelle les acteurs économiques, des salariés à l’État en passant par les syndicats, à tous devenir entrepreneurs.
Il ne sera pas contesté que la France entretient des rapports compliqués avec ses entreprises. Dans une nation qui s’est construite par et avec l’État centralisateur, la liberté d’entreprendre et l’initiative privée ne connaissent pas chez nous le culte auquel elles ont droit dans les pays anglo-saxons. Et si nous changions de focale à l’avenir ? A l’heure où nous parlons d’un meilleur “partage de la valeur”, j’appelle tous les acteurs économiques, qu’ils soient salariés, syndicats ou pouvoirs publics, au partage des valeurs de l’entrepreneuriat.
Si la “grande démission” qui nous avait été promise ne s’est finalement pas réalisée, il reste que des milliers de salariés envisagent encore aujourd’hui d’évoluer professionnellement. Je les appelle alors à devenir “intrapreneurs”, entrepreneurs pour le compte de leur employeur, afin de participer pleinement à la création de valeur ajoutée et à la définition-même des objectifs de l’entreprise. J’invite dans le même temps les chefs d’entreprise à permettre à leurs employés de devenir intrapreneurs, pour moderniser le management de leurs équipes et accélérer l’innovation en amendant les liens de subordination.
Non à la “grande démission”, oui à la “grande refondation”
Face à la perte de sens, il n’est de plus grand remède qu’une refondation de notre modèle économique. Il est plus que temps de bâtir un entrepreneuriat à la française pour répondre aux aspirations nouvelles des travailleurs.
Les entrepreneurs eux-mêmes gagneraient à emboîter le pas. Le rapport 2021-2022 du Global Entrepreneurship Monitor révèle une moindre propension de nos créateurs d’activité à s’emparer du numérique en comparaison de nos partenaires. Moins de 10% des néo-entrepreneurs français estiment en effet qu’ils utiliseront davantage le numérique dans les six prochains mois, contre 40% en Allemagne et 55% au Canada.
Être entrepreneur, c’est aussi intrinsèquement vouloir changer le monde, or nous souhaitons actuellement moins le changer que d’autres : seulement 25% en France se sont lancés pour améliorer les choses, contre 50% au Royaume-Uni et 70% aux États-Unis. J’appelle donc les entrepreneurs à retrouver à la fois le goût de l’innovation et le désir ardent de changement. Nous voyons poindre ces derniers en regardant du côté de nos artisans d’excellence, qui réinventent des professions traditionnelles pour en faire des métiers à impact, qui emploient des techniques de production de pointe telles la découpe laser, l’impression en trois dimensions ou encore le fraisage numérique.
Ces efforts sont à maintenir, à intensifier même, pour redynamiser nos territoires et y faire vivre les savoir-faire combinés aux impératifs de notre siècle. Ce sont les entrepreneurs qui assument la lourde tâche de répondre aux enjeux de société actuels et à venir. Faisons-leur confiance pour remplir leur mission avec audace et innovation, en exploitant toutes les nouvelles technologies mises à leur disposition.
Corps intermédiaires, pouvoirs publics et entreprises au service du bien commun
La refondation de notre modèle économique suppose également une révolution de notre modèle de pensée. J’appelle en premier lieu les syndicats à défendre les entreprises en même temps que les travailleurs qu’elles emploient. La réussite industrielle de notre voisin d’outre-Rhin s’explique largement par une cogestion efficace des affaires économiques et l’acceptation d’une équation logique : sans employeur, il n’y a pas de salariés. Alors que nos TPE-PME sont les premières à souffrir de l’enchaînement des crises sanitaire, économique puis énergétique, je souhaite que les entreprises cessent d’être considérées comme de simples unités de production employant la force de travailleurs. Je veux que l’on constate, au sein de chacune d’elles, les synergies qui s’y développent au quotidien, dans un intérêt commun, celui d’une réussite là encore collective.
Ce qui s’apparente à une régénération du capitalisme nécessite donc d’encourager une association renouvelée entre détenteurs du capital et de la force de travail, pour dépasser les clivages actuels. Cette revitalisation du lien entre les salariés et leur entreprise ne sera rendue possible qu’avec la participation active des forces syndicales de notre pays. Je propose en conséquence à chaque acteur syndical de se sentir, lui aussi, entrepreneur, en construisant avec les entreprises les programmes de formation aux métiers d’avenir et en modernisant un dialogue social actuellement boudé par une grande majorité des salariés eux-mêmes.
L’État est enfin un acteur incontournable de l’avènement d’un entrepreneuriat à la française. J’appelle pour ce faire à simplifier les normes existantes s’appliquant aux entreprises et à faire preuve de retenue législative chaque fois qu’une bonne intention se transforme en bureaucratie chronophage pour ceux ayant la flamme entrepreneuriale. Pour reprendre le rapport précédemment cité, seulement 52% de nos concitoyens estiment qu’il est facile de démarrer et mener une activité indépendante en France, à comparer au score de 70% aux États-Unis, 75% au Royaume-Uni et 85% aux Pays-Bas ! Dans le même temps, la multiplication des structures et des dispositifs amène chaque année 36% des néo-entrepreneurs à ne pas se former préalablement au démarrage de leur activité, faute d’avoir trouvé une information adéquate, d’après l’Insee.
Plus que jamais, toute la législation économique et sociale doit être co-construite avec les entreprises, au travers de leurs représentants patronaux et consulaires, pour conjuguer protection des salariés, de l’environnement et de la croissance. Une modération de l’impact du droit européen serait aussi appréciable, alors que la France est l’un des seuls États membres de l’Union à surtransposer les directives européennes au détriment de la compétitivité de sa propre économie. Finalement, il appartient à chacun, et chacun dans son rôle, de se trouver une âme d’entrepreneur. Il en va de notre réussite collective !