Les artisans et commerçants affichent leur ras-le-bol fiscal mercredi 13 novembre. « Sacrifiés mais pas résignés », peut-on lire sur les vitrines. « C’est la proximité qui va mourir, c’est l’animation des quartiers, des centres-villes, des villages qui disparaît », affirme Jean-Pierre Crouzet, président de l’Union professionnelle artisanale (UPA), qui met en ligne une pétition.
En cause : 1,1 milliard d’euros de prélèvements supplémentaires sur les entreprises d’artisanat au titre de l’année 2013, selon l’UPA. « Il est malheureusement évident que certaines entreprises ne vont pas se remettre de ce coup de massue », assure Jean-Pierre Crouzet. Selon l’organisation professionnelle, qui cite la Banque de France, le nombre de défaillances d’entreprises de moins de 11 salariés a augmenté de 4,3% de juillet 2012 à août 2013, soit 54.000 défaillances en un an.
L’UPA demande notamment le retrait « de toutes les charges sociales supplémentaires qui pèsent sur les travailleurs indépendants depuis le 1er janvier 2013 », le « remplacement du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) par une baisse directe du coût du travail », ainsi que la « révision du mode de calcul de l’impôt sur le revenu des travailleurs indépendants de sorte que les bénéfices réinvestis dans l’entreprise ne soient plus soumis à l’IR ». Sans quoi les patrons continueront à manifester ? « Cette mobilisation vise à montrer l’exaspération des chefs d’entreprise de l’artisanat et du commerce face à l’accumulation des prélèvements sociaux et fiscaux supplémentaires », déclare l’organisation patronale.
Après les moutons, les pigeons
Elle n’est pas la seule à contester les hausses d’impôts. Avec les bonnets rouges, de nombreux chefs d’entreprise se sont élevés contre l’application de l’écotaxe poids lourds, en Bretagne et ailleurs. C’est même désormais une tendance de fond : alors qu’à gauche du gouvernement, on tire sur la politique budgétaire, favorable aux entreprises au détriment des ménages, les patrons, de leur côté, réclament une plus grande fermeté à leurs représentants. Et s’ils ne se sentent pas entendus, ils n’hésitent plus à les contourner.
L’année dernière, les pigeons, ces entrepreneurs et investisseurs du numérique opposés à l’alignement de la fiscalité des plus-values de cession sur celle du travail, avaient pris de vitesse le Medef. Et en court-circuitant la courroie de transmission traditionnelle, ils avaient fait reculer le gouvernement. « Les syndicats patronaux n’étaient pas prêts à se mobiliser pour les pigeons », rappelle le président du fonds ISAI Jean-David Chamboredon, leader du mouvement, qui a de nouveau cette année quelques regrets sur le projet de loi de finances.
Son geste en avait d’ailleurs inspiré d’autres, notamment les artisans, commerçants et professions libérales, tous soumis au régime social des indépendants, réunis autour du symbole des moutons, et soutenus officiellement par la CGPME, autre organisation patronale officielle. Des protestations discrètes aux cartons jaunes
Des protestations discrètes aux cartons jaunes
Cette année aussi, le patronat fait face à une fronde de sa base. A l’Afep, l’association des grandes entreprises, la contestation a été discrète. Seules quelques rumeurs ont fait part, lors de la présentation du projet de loi de finances en octobre, de désaccords avec le DG de Pernod Ricard Pierre Pringuet, président du puissant lobby. « Les chefs de grandes entreprises sont plus discrets, ils font passer les messages à l’Elysée par la petite porte », note un connaisseur du monde patronal. Publiquement, Pierre Pringuet s’est contenté de rappeler dans une interview aux Echos les lignes rouges pour les prochaines assises de la fiscalité. Les entreprises du CAC40 ont suffisamment de réserves financières pour encaisser le choc, et cherchent avant tout à connaître la tendance de plus long terme, pour arbitrer la délocalisation ou non de leurs prochains investissements.
En revanche, la position du Medef est plus délicate. Le mouvement représente aussi de plus en plus de petites entreprises, pour lesquelles cette même réalité fiscale a des conséquences différentes. « Les ETI ont moins d’agilité géographiques », explique-t-on au Medef, « et pour les petites entreprises, la fiscalité est une question vitale ». Dans ces conditions, difficile de faire avaler la pilule. Les 20 milliards d’euros de subventions du crédit d’impôt compétitivité emploi ? Une simple compensation des hausses de prélèvements de ces dernières années. Seulement 0,15% de hausse du taux de prélèvements obligatoires en 2014 ? D’un point de vue micro-économique, cela a de réelles répercussions sur certaines entreprises. « Il y a une incompréhension », reconnaît-on au Medef. Pour montrer sa fermeté,Pierre Gattaz, son président, a fait lever un carton jaune à des centaines de patrons lyonnais, quitte à agacer les ministres de l’Economie et du Budget, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve, qui ont consulté le patronat comme rarement lors de la préparation de leur projet de loi de finances 2014.
De quoi calmer les foules ? Pas sûr. « La pause fiscale n’a été qu’un leurre », affirme Guillaume Cairou, président du Club des entrepreneurs. « La taxe à 75% ? Elle va faire fuir les talents », dit-il. Les réformes structurelles, les réductions de dépenses ? « Il n’y en a aucune », assure-t-il, faisant fi de l’accord du 11 janvier sur la flexisécurité ou des 15 milliards de coupes budgétaires prévues l’année prochaine. Pour lui, comme pour de nombreux patrons, « tant que la fiscalité ne sera pas simplifiée, il n’y aura pas suffisamment d’investissements pour créer des emplois ». Et aux contraintes des politiques, ils opposent leur réalité, douloureuse à leurs yeux, de chefs d’entreprise.