La révolution numérique a bouleversé notre conception du travail. Les vieux cadres ont explosé et avec eux les certitudes. Le mythe du « CDI à la papa » pour tous a volé en éclats. Dans ce moment critique, il est temps de libérer les énergies et de donner à des millions d’actifs le droit d’entreprendre, un statut et une protection. Saisissons cette chance, avant qu’il ne soit trop tard !
Tocqueville nous a montré le chemin, il y a 170 ans. En 1848, critiquant un amendement sur l’inscription d’un « droit au travail » dans la constitution, le philosophe précise le rôle de l’État : « donner à chaque citoyen des lumières et de la liberté ». Dans son esprit, la puissance publique a un devoir impérieux vis-à-vis des travailleurs, non pas celui de leur donner du travail, mais celui de veiller à ce que tous ceux qui en cherchent « en trouvent toujours ».
Nous sommes les héritiers de cette idée. Les pouvoirs publics doivent s’assurer qu’ils n’entravent jamais le chemin de chacun vers l’emploi et mieux… qu’ils le favorisent. Malheureusement, c’est l’exact inverse qui se produit.
Depuis des décennies, les gouvernements ont fait le choix du chômage de masse et d’un cadre législatif étriqué contre la liberté du travail. Or nous sommes à un tournant : le progrès technologique change la donne et nous offre de nouvelles opportunités. Le temps est venu de sortir de l’ornière, de reprendre le fier chemin tracé par Tocqueville. Il est urgent de redonner les libertés et les protections aux travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants. Dire qu’il suffirait de changer quelques lignes du Code du travail pour y parvenir…
Briser le cadre
Prenez le cas des indépendants qui ont fait le choix du portage salarial : ils ont créé leur propre emploi, leur réseau commercial, ils ont des clients, travaillent en toute indépendance et conservent le précieux statut de salarié. En France, ils sont déjà 86 000, et le secteur, en plein boom, enregistre une croissance moyenne de 20 % par an avec un chiffre d’affaires d’1,3 milliard euros. Entré dans le Code du travail en 2015, le portage salarial a même sa convention collective. Pourtant, cette mine d’or est loin d’avoir été totalement exploitée. Le Code du travail et la loi, on va le voir, y sont pour beaucoup.
La première barrière, c’est celle d’un cadre légal infiniment trop contraignant. La loi a en effet conçu le portage salarial comme un dispositif de services aux « entreprises clientes » et non aux particuliers. Autrement dit : le service à la personne est exclu d’office du dispositif. À l’heure du fort développement de ce secteur dans toutes les régions de France, c’est ce que j’appelle une belle occasion manquée !
L’autre obstacle de taille, c’est le seuil de rémunération minimal de l’indépendant en portage salarial. Pour avoir le droit d’y accéder, il faut gagner plus de 2 500 euros bruts par mois. Et voilà, comment les deux tiers de la population active sont exclus d’office d’une aventure entrepreneuriale sécurisée. Vous avez dit liberté et égalité ?
Tous gagnants !
La solution est pourtant à portée de crayon et tout le monde aurait à y gagner. Pour créer massivement des emplois, faire économiser à l’État de précieuses dépenses publiques, répondre aux besoins de flexibilité des entreprises, il suffirait de changer quelques mots et quelques chiffres du Code du travail. Comment ? En abaissant au niveau du SMIC la rémunération minimale du portage salarial. Voilà le premier élan libérateur. Un second ? Retirer un simple mot du Code du travail : au lieu « d’entreprises clientes », pourquoi ne pas parler plus généralement de « clients » ? D’un coup de « blanco législatif », on ouvrirait ainsi des secteurs aujourd’hui interdits à ceux qui sont prêts à y travailler.
Voilà deux mesures simples qui ne coûteraient rien à personne. Leur impact en revanche, serait impressionnant. On estime que ces deux modifications permettraient de créer près d’un million d’emplois en dix ans. Grâce à ces créations nettes, l’assurance-chômage économiserait la bagatelle d’un milliard d’euros d’indemnités. Quant au chiffre d’affaires des indépendants en « portage salarial », il serait multiplié par dix et les cotisations sociales d’autant… Voilà ce que j’appelle du « gagnant-gagnant » !
Ce qui est possible avec le portage salarial, l’est aussi, bien entendu, pour les autres formes d’activités indépendantes qui, hélas, comme lui, restent cantonnées dans l’angle mort des politiques publiques. À un moment où le monde du travail change si vite, où les jeunes actifs sont en quête de sens, où salariés comme indépendants rêvent de sortir des vieux schémas et des millions de chômeurs de la fatalité, pouvons-nous continuer comme si de rien n’était ?
Je ne le crois pas. Alors, choisissons résolument le meilleur sur le pire, faisons-nous confiance et redonnons de la liberté au travail. « Lumières et liberté » disait Tocqueville, le grand philosophe de la démocratie. Il ne tient qu’à nous de retrouver ce sillon.
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