Pour Guillaume Cairou, président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines et vice-président de la CCI Paris Île-de-France, un nouveau tissu productif peut être créé en France grâce à nos start-up industrielles. À condition de les accompagner.
Ces derniers mois ont profondément modifié l’écosystème des start-up. Après ce que l’on pourrait qualifier de bulle, le temps n’est plus aux tours de table astronomiques pour les acteurs de la fintech. Ce retour à une certaine rationalité économique sur le marché du capital-investissement constitue une formidable opportunité pour les start-up industrielles, davantage ancrées dans l’économie productive, lesquelles peuvent amorcer la réindustrialisation durable de notre pays si elles sont correctement accompagnées.
Quand les licornes de la fintech laissent la place aux centaures de l’industrie 4.0
L’emploi d’un terme appartenant au vocabulaire mythologique semble de moins en moins approprié lorsque l’on évoque l’univers des start-up. Le statut de “licorne”, c’est-à-dire de start-up valorisée plus d’un milliard de dollars, a progressivement perdu de sa rareté. Le nombre de licornes dans le monde a bondi de 120% entre 2020 et 2021 ; elles sont aujourd’hui plus de 1.000. Le titre davantage sélectif de “décacorne” a donc vu le jour, décerné aux jeunes pousses valorisées plus de dix milliards de dollars. L’agrandissement considérable du club autrefois restreint des licornes s’est accompagné d’une décorrélation préoccupante entre la valorisation de ces structures et leur chiffre d’affaires.
Les crises sanitaire, économique et internationale ont tôt fait d’éclater cette bulle spéculative, terminant un chapitre premier de l’histoire des start-up marqué à la fois par l’euphorie et l’imprudence. Désormais, avec une rationalité retrouvée, de plus en plus de capital-risqueurs font des perspectives de rentabilité le critère déterminant de leurs décisions d’investissement. Symbole de ce changement de mentalité, les start-up devront convoiter non plus le sésame de licorne mais bien celui de “centaure”, créé par le fonds de capital-risque Bessemer Venture Partners en mai dernier et basé sur le revenu effectivement généré (100 millions de dollars de revenus annuels récurrents).
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ce qui est mauvais pour les acteurs de la fintech peut être appréhendé comme une opportunité pour les start-up de l’économie productive. Ces dernières se retrouvent dans tous les nouveaux enjeux de société : la reconquête de notre souveraineté industrielle, la décarbonation des activités productives, la recréation d’emplois et de biens à forte valeur ajoutée, l’innovation au service des consommateurs et des usagers. Alors que nous évoquons depuis des années avec ardeur notre réindustrialisation, nous pouvons tirer profit de ce revirement de contexte pour les start-up.
Les start-up industrielles, par nature plus robustes que leurs homologues des services, nécessitent en contrepartie un temps de rentabilité plus long ainsi qu’un accompagnement renforcé dans leur développement. Il revient donc aujourd’hui aux pouvoirs publics de préparer le terrain pour garantir à ces dernières leur succès futur, afin d’en faire les pionnières du grand retour de la souveraineté industrielle de la France au travers de la prometteuse “ industrie 4.0 ”.
Donner aux start-up industrielles les moyens de produire en France
Les start-up industrielles investissent l’ensemble des filières d’avenir de notre société, que ce soit dans les transports, le cloud, l’audiovisuel, la médecine, les semi-conducteurs, sans oublier la biotech, l’agritech et la foodtech. Ce sont elles qui créeront les métiers de demain, alors que 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore, selon Pôle emploi. Elles peuvent également appuyer nos fleurons nationaux dans la réinvention de leur activité : l’automobile, l’aérospatiale ou encore le nucléaire.
Après avoir spectaculairement rattrapé son retard dans les domaines des services et de l’information, la France peut devenir un leader mondial dans l’implantation de ces entreprises industrielles innovantes. Selon les chiffres de Bercy, établis en septembre 2021, 12% de nos start-up évoluent dans l’industrie, 62% d’entre elles dynamisant un territoire autre que l’Ile-de-France. Or nombre d’entre elles choisissent aujourd’hui de renoncer à la phase d’industrialisation sur le sol français, en vendant les fruits de leur R&D à des entreprises souvent étrangères ou bien en implantant leur usine de fabrication ailleurs.
Réindustrialiser notre pays implique donc inévitablement de lever cette barrière à la progression des start-up. Des efforts notables sont d’ores et déjà fournis en ce sens, au travers du plan “France 2030” ou, de façon plus localisée, du fonds d’investissement public “Sociétés de projets industriels” (SPI, 800 millions d’euros) et du plan “Start-up et PME industrielles” porté par Bpifrance. L’organisme public ambitionne d’aménager une centaine de sites par an d’ici 2025 pour accueillir les usines de la nouvelle industrie.
Si nous voulons remporter ce pari et stopper la fuite de l’œuvre de nos talents vers des pays plus attractifs, tous les acteurs de l’économie et de l’emploi doivent se mobiliser à l’unisson. Le réseau des Chambres de commerce et d’industrie, premier partenaire historique des entrepreneurs et des territoires, saura à ce titre prendre toute sa place dans ce projet d’intérêt général. Le fonds SPI gagnerait quant à lui à voir son périmètre élargi et son montant revalorisé compte tenu des enjeux.
L’objectif de permettre aux start-up industrielles effectuant leur R&D en France de produire également dans le pays, le plus près possible de leurs centres de recherche et à des coûts avantageux, est certes audacieux, mais loin d’être irréalisable. C’est grâce à elles que nous recréerons durablement un tissu productif dans notre pays et des emplois qualifiés au service d’un avenir meilleur. Le jeu en vaut assurément la chandelle !