Voici les recettes pour construire une véritable France des entrepreneurs lors de ce nouveau quinquennat, d’après Guillaume Cairou, serial entrepreneur et président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines.
Pour répondre aux nombreux défis du siècle, notre pays a plus que jamais besoin de ses talents et de leur audace. La formidable aventure qu’est l’entrepreneuriat souffre pourtant encore d’une bureaucratie étouffante, d’un droit devenu inadapté à la flexibilité du monde du travail actuel, et plus généralement d’une méconnaissance de ce qu’est “entreprendre”.
C’est donc toute la législation encadrant l’activité indépendante qu’il s’agit de rebâtir, en parallèle de formations professionnalisantes dispensées au sein de nouvelles “écoles d’entrepreneuriat”. Dans le cadre de ce nouveau quinquennat, ces ambitions pourraient être portées par un véritable ministère de l’Entrepreneuriat, doté de compétences bien plus larges que celles de l’ancien ministère délégué aux PME.
Développons la culture entrepreneuriale et l’innovation
La force première des entrepreneurs, tirée autant de la raison que de l’intuition, est de savoir provoquer des synergies pour multiplier les fruits de leur œuvre. Il appartient aux représentants de l’État de s’emparer de cette capacité, en permettant l’émergence de partages et de complémentarités dans chaque territoire. En ce sens, la multiplication des partenariats entre le monde de la recherche et la sphère économique constitue un premier levier d’action. L’objectif est de reproduire l’incroyable succès du cluster de Paris-Saclay, l’un des huit pôles mondiaux d’innovation d’après un classement du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) et concentrant à lui seul près de 15% de la recherche publique et privée française. L’État définirait ainsi pour chaque région sa dominante d’excellence et y installerait un pôle spécifique regroupant acteurs académiques, institutionnels, start-up, PME et ETI du territoire dans une même quête d’innovation et bénéficiant d’un soutien financier à la hauteur de cette ambition.
Au-delà du développement de complémentarités territoriales, la culture entrepreneuriale elle-même mérite toute notre attention. Parce que cela ne fait jamais de mal, rappelons ici qu’en 2021, au plus fort de la crise sanitaire, le record de près d’un million de créations d’entreprise a été atteint ! Si l’envie de se lancer existe incontestablement, elle doit néanmoins être accompagnée efficacement au risque de partir dans la mauvaise direction, voire de ne pas partir du tout du fait d’une trop grande appréhension du résultat.
La dernière “Grande consultation des entrepreneurs”, menée par CCI France en juillet 2021, a mis en lumière cette potentielle frilosité à innover : si 41% des entrepreneurs considèrent l’innovation principalement comme un investissement et même 15% comme une condition de survie pour leur activité, ils sont tout de même 27% à y voir un “mirage” et 16% à redouter une prise de risque trop grande. L’accompagnement dans l’entrepreneuriat et l’innovation constitue donc une mission d’intérêt général dont l’exécution incomberait, là encore par sa nature même, aux pouvoirs publics. A côté des écoles de commerce, l’État pourrait assumer ce rôle en instituant des “écoles d’entrepreneuriat” dans les territoires en demande, parce que la liberté d’entreprendre doit s’accompagner du droit d’entreprendre en connaissance de cause.
Ces deux projets d’envergure – parmi tant d’autres ! – pourraient voir le jour en étant portés par une administration dédiée, dans un calendrier embrassant le nouveau quinquennat. Nous pourrions à cet effet imaginer un ministère de l’Entrepreneuriat, disposant des ressources confortables de Bercy et de compétences plus nombreuses que celles de l’ancien ministère délégué aux PME, lequel a démontré ses limites lors de la précédente mandature. Il bénéficierait évidemment du concours indispensable des Chambres de commerce et d’industrie, piloterait avec elles les nouvelles écoles d’entrepreneuriat et, osons y croire, trouverait même la force de réformer le droit du travail pour améliorer l’attractivité du travail indépendant.
Bâtissons un droit autonome de l’activité indépendante
La notion de “travail indépendant” regroupe aujourd’hui une multitude de formes d’exercice d’une activité professionnelle, certains modèles émergents cassant les codes de son acception traditionnelle. Les législateurs et juges du monde entier cherchent tant bien que mal à caractériser ces nouveaux modes de travail, sans vision d’ensemble parfois, de manière contradictoire entre eux souvent. Prenons l’exemple désormais incontournable du “travail des plateformes numériques” : il en existe pratiquement une forme d’encadrement juridique par pays ! En France, les gouvernements successifs, concentrés à juste titre sur la préservation du statut indépendant des chauffeurs et livreurs, y apportent cependant des réponses parcellaires et bancales à grands coups d’ordonnances, la dernière en date cherchant à créer de toutes pièces un dialogue social… fortement calqué sur le modèle de la négociation collective du monde des salariés.
C’est pourtant un mouvement contraire qu’il faut impulser en France : au lieu de vouloir tout ramener peu ou prou à du salariat et voir chaque nouvelle forme de travail indépendant comme du “salariat déguisé”, nous devons ancrer dans le droit positif l’indépendance de ces centaines de milliers d’entrepreneurs nouvelle génération et garantir cette dernière contre toute requalification hasardeuse par le juge.
Alors qu’aujourd’hui le code du travail est surtout un code du travail salarié, ayons le bon sens d’acter la distinction entre activité salariée et indépendante en adoptant un code de l’entrepreneuriat, lequel deviendrait le corpus juridique de l’ensemble des formes de travail indépendant et de la création d’activité – individuelle ou collective – en général. L’élaboration de la liste détaillée des formes de travail ainsi que des véhicules juridiques à y associer pourrait être confiée au nouveau ministère de l’Entrepreneuriat, en concertation avec les premiers concernés et dans un souci constant de sécurisation combinée à la préservation de la liberté d’entreprendre.
Réduire “l’impôt-paperasse”
Enfin, à côté de ces efforts de reconnaissance juridique des nombreux moyens d’entreprendre, quelques principes généraux simples sont à appliquer au quotidien des chefs d’entreprise. Nous pouvons en premier lieu retenir le principe de parcimonie, lequel exigerait que l’entrepreneur n’ait à donner une même information qu’une seule fois à l’administration. Pour diminuer “l’impôt-paperasse” grevant inutilement le temps disponible du dirigeant de TPE-PME, il appartient aux différents services de l’État et de la Sécurité sociale de se coordonner entre eux dès lors que la situation le permet.
En cohérence avec ce que nous avons écrit plus haut, un autre principe serait celui d’innovation, à concilier méticuleusement avec le principe de précaution pour déterminer un équilibre subtil entre les deux. C’est parce qu’actuellement le principe de précaution, laissé seul maître, interdit trop souvent l’innovation que la France n’attire pas suffisamment la recherche de pointe et les talents qui s’y consacrent. Chaque article du code de l’entrepreneuriat devrait être rédigé à la lumière de ces corollaires essentiels à la liberté d’entreprendre. L’association de toutes ces initiatives en faveur de l’activité indépendante permettra alors de faire gagner la France qui ose : la France des entrepreneurs.