Impératif écologique, boom technologique… dans un monde pressé, la France doit revoir sa manière de répondre aux enjeux de ce siècle et des suivants, selon Guillaume Cairou, entrepreneur et président de la Chambre de commerce et d’industrie des Yvelines, qui appelle à créer un véritable “super-ministère de l’Activité du futur”.
A l’heure où ces lignes sont écrites, la campagne de l’entre-deux tours bat son plein. Seule certitude après ces mois de campagne : le prochain président aura la lourde charge de réconcilier toute une Nation et lui assurer une prospérité d’après-crise. Pari fou selon certains commentateurs, mais a-t-on seulement le choix de douter de la réussite de ce projet ? Évidemment que non, au vu de l’urgence générale de la situation : urgence climatique, urgence économique, urgence sociale. Il nous faut donc réinventer nos modes de gouvernance, de prise des décisions et d’action, à la fois sur le terrain et au plus haut niveau de la sphère étatique.
Pour redonner une cohérence à nos politiques publiques, c’est-à-dire cesser de répondre ponctuellement, localement et partiellement aux problèmes, il est tout à fait possible d’imaginer un nouvel équilibre au sommet de l’État. Le président-candidat Emmanuel Macron a promis qu’en cas de réélection, il nommerait à Matignon le futur responsable d’un grand plan écologique, aidé par deux ministres. Cette ambition de placer des enjeux de politique publique à un niveau transversal, interministériel, est une bonne chose. Faisons pareil avec l’économie et le social !
D’autant que, à dire vrai, cette conjonction des sujets économiques et sociaux existe déjà au niveau déconcentré, celui de l’État sur le terrain. Mentionnons à titre d’exemple les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), agissant pour le compte à la fois des ministères chargés de l’Économie, du Travail et des Affaires sociales. A l’époque de cette refonte – la “Révision générale des politiques publiques” sous Nicolas Sarkozy -, l’enjeu budgétaire prévalait : il fallait réduire rapidement les dépenses publiques et donc regrouper des administrations.
Aujourd’hui pourtant, et bien que notre dette publique ne soit toujours pas une source de satisfaction, un enjeu plus grand encore nous presse : renouer les Français entre eux, grâce au plein emploi et à l’inclusion sociale. Le score de Jean-Luc Mélenchon, candidat des réformes sociales de cette élection, reflète ce besoin éprouvé par des millions de nos concitoyens. Cette réflexion sociale sera incontournable, d’autant plus qu’une réforme de notre système de retraites est devenue indispensable pour pérenniser notre modèle social. En résumé : le temps presse.
Pour un “ministère de l’Activité du futur”
Le temps presse d’autant plus qu’en parallèle, le “modèle social à la française” est régulièrement chahuté par une économie mondialisée et ne cessant d’évoluer à la faveur de l’innovation technologique et du désir insatiable d’entreprendre. Ces mouvements continus heurtent parfois notre droit du travail vieillissant et génèrent, faute d’un encadrement adapté, de la précarité et une peur quant à l’avenir de notre modèle social. Rappelons ici les résultats d’un sondage Ifop de février dernier : 82% des Français interrogés sont attachés à notre modèle social, “constitutif de l’idée de la France”, mais 80% pensent également que ce dernier est menacé. Plus que jamais, nous devons donc lier les sujets économiques et sociaux dans une même réponse publique aux exigences des Français et de notre temps, pour éviter que l’économie ne ravage le social et que le social n’étouffe l’économie. Parmi les possibilités, un “super-ministère” chargé des affaires économiques et sociales constituerait une avancée bienvenue au sein de l’État central.
Le premier chantier du titulaire de ce nouveau portefeuille ministériel serait de fédérer, autour de lui, l’ensemble des acteurs engagés dans la pérennisation de notre modèle économique et social. A ce titre, des institutions préexistent, qu’elles soient publiques ou privées. Le réseau public bicentenaire des Chambres de commerce et d’industrie, bien évidemment, y prendrait toute sa part, dans chacun de nos territoires. L’Observatoire du travail indépendant également, lequel a déjà entamé depuis 2018 ces travaux de réflexion au travers de son Forum annuel sur l’avenir du travail. Pensons aussi à tous les acteurs académiques, syndicaux, entrepreneuriaux, associatifs, politiques, nationaux et européens. Sans compter le Haut-Commissariat au Plan ressuscité à la faveur de la nécessaire planification de la relance française, le Haut-Commissariat à l’Emploi… En bref, les acteurs – et donc les bonnes volontés – disponibles pour réinventer les conditions du vivre-ensemble et du plein emploi dans nos régions ne manquent pas !
Une fois la synergie opérée autour de ce que nous pourrions nommer “ministère de l’Activité du futur”, dans un cadre coopératif agile dépassant le clivage public/privé, plusieurs chantiers prioritaires seraient sur la table : renforcer la formation continue tout au long de la vie professionnelle, favoriser la création d’activité et donc d’emplois sous toutes leurs formes en tirant profit des atouts locaux, et enfin associer à chaque forme d’emploi une protection sociale adéquate. La formation à ces emplois de demain serait en premier lieu confiée à nos écoles et universités : écoles d’ingénieurs et consulaires pour les formations techniques et industrielles, universités pour les formations plus générales. Les entreprises elles-mêmes seraient ensuite incitées à proposer davantage de formations en interne.
Les élus locaux participeraient, quant à eux, encore plus efficacement à l’attractivité de leur territoire au moyen d’une confiance accrue témoignée par l’État central. Notre Constitution permet depuis 2003 aux gouvernants de Paris de donner davantage de liberté aux collectivités locales dans la mise en œuvre des politiques nationales. Elle autorise également le Parlement à adopter des législations expérimentales pour une durée et un objet déterminés. Nous disposons d’un arsenal juridique suffisant mais trop peu employé : à charge pour le ministère de l’Activité du futur de coordonner ces élans d’innovation au niveau local, en dérogeant dès qu’il le faudra à la rigidité politique et administrative que nous connaissons si bien en France, sur les conseils avisés des acteurs locaux.
Une mission : mêler économie et social
Le volet économique s’accompagnerait dans le même temps du volet social. Appuyer l’inclusion sociale et assurer une protection sociale adaptée constitueraient les deux axes de ce dernier. La politique de la Ville, aujourd’hui circonscrite à un petit millier de communes, verrait son ambition doublée et soutenue par les métropoles dans un effort de péréquation territoriale. La création de sa propre activité, dans les zones à chômage élevé, passerait par l’établissement de tiers-lieux, véritables pôles d’innovation et de synergie entrepreneuriale. Enfin, l’exigence de justice sociale implique de redéfinir le travail.
Nous sommes à l’aube d’une décennie qui aura connu la popularisation du télétravail et l’effritement des frontières entre salariat et travail indépendant : essor du télétravail pour les salariés, mais aussi du travail des plateformes impliquant une indépendance économique fragile, du microjobbing faisant penser au travail journalier d’antan… Ces activités du futur, bien souvent corrélées à l’essor technologique et hybridant indépendance et emploi salarié, méritent une réflexion approfondie sur les manières de les associer à un cadre sécurisé d’exercice. A titre d’exemple, le travail des plateformes serait une fois pour toutes reconnu comme une forme de travail indépendant, en contrepartie de droits sociaux véritablement renforcés et d’une formation à la sécurité prise en charge par les plateformes.
Le monde économique d’avant n’existe plus : exemple frappant, en juillet 2021, 38% des Français envisageaient de quitter leur emploi en cas de retour intégral au présentiel dans leur entreprise, d’après une étude de Slack. La cohésion sociale d’avant n’existe plus : place à l’inclusion sociale. Mêler économie et social dans la réponse à apporter aux problèmes de notre pays : telle serait la mission du ministère de l’Activité du futur, véritable épicentre gouvernemental de la production des nouvelles politiques publiques d’essor économique et d’inclusion sociale, en coopération avec les acteurs publics et privés des nouvelles formes d’emploi et de protection sociale, pour une société française plus inclusive, plus protectrice et plus prospère. Nous ne cesserons d’alerter sur l’urgence d’une telle rénovation de l’action publique : après des années de quotidien bouleversé, notre Nation doit se préparer aux temps troublés qui s’annoncent. Or nous ne serons rassemblés qu’à la double condition d’un plein emploi retrouvé et d’une inclusion sociale renforcée.
Source : https://www.capital.fr/votre-carriere/comment-atteindre-le-plein-emploi-et-vraiment-favoriser-linclusion-sociale-1434277