Guillaume Cairou, président du Club des Entrepreneurs
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Plongée depuis maintenant un an et demi dans une crise sanitaire hors norme, et malgré la levée récente de nombreuses restrictions, la France fait face à une nouvelle vague de contaminations. La liste des variants arrivant sur son territoire n’en finit pas de s’allonger : Delta, Alpha, Gamma, Epsilon et maintenant Lambda… Si l’on veut éviter cette quatrième vague, qui peut s’avérer catastrophique tant sur le plan économique que sur le plan social, le Club des Entrepreneurs que je préside appelle le Gouvernement à agir rapidement en faisant adopter une loi sur l’obligation de vaccination pour tous les salariés et entrepreneurs. Les entreprises se tiennent en première ligne pour réaliser la vaccination de masse dont notre pays a besoin pour ne pas sombrer.
Un déni de crise sanitaire, économique et sociale
Depuis le mois de mars 2020, la vie des Français est rythmée par les évolutions de la Covid-19. Plus qu’une crise sanitaire qui a causé à date le décès de plus de 111 000 personnes, celle-ci a entraîné la France dans une crise économique et sociale désastreuse – la pire depuis 1929.
Notons alors que dès décembre 2019, des cas de contaminations à la Covid-19 sur notre territoire avaient été détectés, or il a fallu atteindre un point de non-retour pour que le Gouvernement prenne ses dispositions. Ce dernier aura attendu le tardif signal d’alerte de l’Organisation mondiale de la santé, le 11 mars 2020, pour agir, soit trois mois après les premiers cas français avérés. Nous avions été abasourdis par le temps de réflexion nécessaire pour comprendre l’état précaire de la situation dans lequel entrait notre pays, temps qui nous a valu, une semaine plus tard, un confinement des plus stricts et brutaux. Inutile de rappeler les couacs ultérieurs dans la gestion de crise (pénurie de masques, difficultés à obtenir suffisamment de doses de vaccin, embrouillamini dans la prodigation de ces doses).
Pour résorber la crise économique et sociale devenue inévitable, l’Exécutif s’est vu dans l’obligation de réagir pour soutenir des citoyens vivant du jour au lendemain une situation plus que précaire. Ainsi, de nombreuses aides à destination des entreprises, des jeunes et des demandeurs d’emploi ont été mises en place par l’Etat. Il aura, soit dit en passant, fallu lutter pour obtenir pareilles mesures pour les indépendants. La doctrine du « quoi qu’il en coûte » a balayé les principes néolibéraux réputés intangibles depuis les années 1970 : revenu minimum de 900 euros pour les salariés précaires, prêts garantis par l’Etat, chômage partiel, repas à un euro dans les restaurants universitaires, etc. ont pu aider les Français et leurs entreprises à mieux supporter les effets secondaires des mesures de restrictions. En déployant ces nombreux instruments d’accompagnement, l’ancien état des finances publiques, décrié hier, laisse aujourd’hui presque rêveur car, en l’absence de futures politiques drastiques, il sera très compliqué de le redresser. En effet, selon l’Insee, fin mars 2021, la dette publique française avait atteint un sommet de 118,2% du PIB, soit 2 739 milliards d’euros. De plus, de par les dépenses engagées par le Gouvernement pour faire face à la crise, le déficit public français devrait atteindre cette année 9,4% du PIB.
Après le temps de la cécité devant l’inconnu au début de la pandémie, nous savons désormais, guidés par les experts scientifiques, ce à quoi nous devons faire face. C’est pourquoi nous restons sans voix devant les atermoiements actuels de l’Exécutif. Devant dorénavant gérer une crise multiforme, il ne réagit pas en conséquence à la hauteur de ses responsabilités. Après un an et demi de guerre, pour reprendre le terme du Président de la République, nous sommes en droit d’attendre de l’Etat une stratégie rapide pour mener à la victoire finale des Français à la résilience quotidiennement éprouvée. Pour nos dirigeants, il n’est pas encore trop tard pour redresser la barre.
Une déperfusion sans vaccination : le retour des restrictions
Il y a quelques semaines, l’on nous annonçait la levée progressive de toutes les restrictions imposées depuis une année : fin du port du masque en extérieur, réouverture graduée des établissements accueillant du public, levée progressive des barrières aux frontières, fin du couvre-feu… Un plan enthousiasmant pour les Français à l’arrivée de l’été, certes. Malheureusement, c’était sans compter l’arrivée de potentiels nouveaux variants. Crainte devenue réalité, ces mutations récentes du coronavirus ont replongé en un rien de temps le pays dans une incertitude totale. En effet, en l’espace d’une semaine, le variant Delta, soixante fois plus contagieux que les précédents, est passé de 9% à 40% des nouveaux diagnostics quotidiens. Nous savons que les chiffres évoluent sur une pente croissante, et qu’avec l’été et les départs en vacances, les contaminations ne feront qu’augmenter. Nous sommes conscients du retour de la progression du virus et de l’arrivée d’une quatrième vague, alors qu’attendons-nous pour prendre les mesures qui s’imposent ? Le Gouvernement souhaite nous laisser un peu de répit, une once de liberté pour l’été, mais à quel prix ? Nous nous sommes retrouvés l’an dernier dans la même situation, libres pour un été et confinés dès la rentrée ; mais l’économie de notre pays survivra-t-elle une nouvelle fois à cet enchaînement des événements ? A contrario d’autres pays de l’Union européenne ayant mieux anticipé leur reprise économique, la France ne prend pas les mesures nécessaires pour sortir de cette triple crise, d’après les estimations de la Commission : l’Allemagne progresserait en passant de 3,6% de croissance en 2021 à 4,6% en 2022, l’Espagne continuerait sa route en passant de 6,2 à 6,3%, alors que la France chuterait de 6 à 4,2%. Nous dégringolons dans notre rétablissement davantage que l’Italie, qui devrait passer de 5 à 4,2%. Et ce, en estimant que 2022 sera une année favorable du point de vue sanitaire !
En parallèle de ces prévisions moins glorieuses que prévu, l’Etat a entrepris une politique de déperfusion (fin des PGE, de l’étalement des obligations Urssaf, etc.) laissant bien au contraire à penser que les problèmes économiques liés à la crise sanitaire s’éloigneraient. L’Etat ne pouvant accorder indéfiniment des aides et les entreprises devant regagner en autonomie, il semble évidemment nécessaire de déperfuser ces dernières. Rappelons qu’il y a un an, les tenants de l’orthodoxie budgétaire nous martelaient qu’il n’y avait plus d’argent dans les caisses de l’Etat. Depuis des mois, ce sont des dizaines de milliards d’euros qui sont orientés vers le soutien aux entreprises. Mais comment cette nouvelle montagne de dettes pourrait-elle être remboursée, si le pays s’arrêtait une fois encore de fonctionner ?
L’émergence des nouveaux variants freine pourtant indéniablement la reprise économique qui avait été permise par la montée en puissance de la vaccination en France. Entraîné par une vague d’optimisme, l’Etat avait décidé de commencer le retrait des aides. Ce retrait devait bien arriver un jour, ne nous mentons pas. Le « quoi qu’il en coûte » sera payé par nos enfants et petits-enfants. Or, la nouvelle vague qui se profile chaque jour un peu plus risque d’entraîner une récession. Redisons-le donc encore ici : puisque la magie de l’argent infini n’opère plus, la vaccination est le seul remède à cette crise. Puisque la déperfusion a été mise sur la table, la vaccination est par là même devenue indispensable.
Le « retour à la normale » passera par la vaccination obligatoire, notamment en entreprise
A l’approche de l’élection présidentielle, l’Exécutif enchaîne les plans d’action pour la fin du quinquennat. Même la réforme des retraites, mère de toutes les crispations depuis des années, est exhumée de son tombeau qu’elle avait rejoint… du fait de l’épidémie de Covid-19, laquelle appelait à une union nationale. En matière de santé, il ne peut donc plus reculer et doit prendre des mesures fortes, telle que la vaccination obligatoire, pour lutter contre la Covid-19, si besoin en remettant à plus tard l’élaboration des plans de la campagne de 2022. Car rien ne sert de relancer l’économie si la situation sanitaire oblige très prochainement à reconfiner tout le pays.
Actuellement, ce sont 25 millions de Français pour lesquels le schéma de vaccination est complet et 34 millions à avoir reçu leur première injection. Bien qu’encourageants, ces chiffres restent cependant trop faibles vis-à-vis de la nouvelle vague que nous sommes amenés à prendre de face. Il faut alors agir en accélérant la vaccination. Dans cette optique, la vaccination en entreprise devient nécessaire pour encourager un maximum de Français à lutter, ensemble, contre ce virus. Il y a quelques mois, les membres du Club des Entrepreneurs étaient d’ailleurs prêts à prendre leurs responsabilités. Notre tribune du 3 janvier 2021 affirmait la détermination de milliers de chefs d’entreprise à accomplir leur devoir citoyen. Même si depuis, la médecine du travail peut réaliser ces injections, cela reste insuffisant. D’autant que les questions majeures relatives à cette responsabilisation des entreprises subsistent : comment acheminer suffisamment de doses dans chaque structure ? quelle supervision de la part des ministères du Travail et de la Santé ? qui serait compétent pour administrer le vaccin ? Sur ce dernier point, nous proposons la formation du responsable premiers secours de chaque entreprise à la vaccination groupée sur le lieu de travail. Pour les autres, l’Etat n’ayant pas entendu notre appel, nous le reformulons au travers de ces lignes.
Les entreprises peuvent être les acteurs privilégiés d’une politique ambitieuse de vaccination générale. Au sein de chacune d’elles, les salariés se connaissent, connaissent le chef d’entreprise et lui font confiance. Si le chef d’entreprise fait preuve de pédagogie, il peut amener ses salariés à se faire vacciner pour le bien commun.
Avec l’arrêt imminent des aides publiques, la reprise durable de l’économie, de l’emploi et de la “vie normale” ne sont envisageables que si nous nous faisons vacciner en masse. Or, le Gouvernement prépare une loi pour rendre la vaccination obligatoire pour le personnel soignant, peut-être pour les pompiers, mais tergiverse encore et toujours sur l’obligation vaccinale pour tous. En attendant, les variants n’attendent pas. Alors que les Français en entendent parler sur tous les plateaux de télévision, l’Etat espère passivement qu’un large consensus dans la société civile émerge en faveur de l’extension maximale de cette obligation. Mais si l’Etat n’agit pas, qui serait plus légitime que lui à prendre les choses en main, à prendre la lourde décision qui s’impose ? Aucune instance mondiale n’est compétente pour agir à l’heure où l’Humanité tout entière est concernée. L’Europe démontre encore une fois sa lourdeur bureaucratique et sa difficulté à obtenir la concordance de vingt-sept volontés. Dans ce concert où chaque instrument joue sa propre partition au milieu d’un capharnaüm sinistre, l’Etat est, par élimination, le seul échelon cohérent de décision qu’il nous reste, à nous, Français. Partant de ce constat, pour ne pas aggraver le schisme entre deux pans de la société française – les « provax » et les « antivax » -, pour éviter la culpabilisation des non-vaccinés par les vaccinés, enfin pour éviter un énième arrêt mortifère de l’économie et de la vie sociale, l’Etat doit prendre conscience du devoir qui est le sien, celui de prendre la décision que le pacte social lui ordonne de prendre : protéger toute sa population en rendant la vaccination de tous obligatoire.
Au-delà de vivre une crise sanitaire, la France doit dorénavant affronter une crise globale inédite dans son histoire. L’attentisme a assez duré, nous savons dorénavant que le virus ne partira pas. Les épidémiologistes du Centre de recherche et de politiques sur les maladies infectieuses de l’université du Minnesota (CIDRAP) prédisaient en mai 2020 un calvaire de deux années : nous avons déjà atteint cette durée, et le chemin de croix comportera encore de nombreux épisodes si rien n’est fait. Il est donc plus que temps de trouver, ensemble, des solutions, à court et long terme, pour pouvoir passer outre le virus et ses mutations infinies. L’Etat doit conserver le premier rôle dans cette réponse collective. Après avoir utilisé ses prérogatives de puissance publique pour mettre à l’arrêt tout le pays, il doit les réemployer cette fois pour le remettre sur les rails. Cela n’empêche nullement les volontaires d’aujourd’hui de se faire vacciner, bien au contraire, car chaque jour compte dans une guerre. Jamais dans l’histoire de la médecine, la science n’avait été aussi rapide et efficace pour trouver et produire des vaccins, c’est pourquoi nous devons nous tourner vers cette solution et tout faire pour favoriser la vaccination de masse, action nationale qui permettra le rebond économique et la préservation des acquis du déconfinement. C’est pourquoi nous, chefs d’entreprise et représentants de chefs d’entreprise, appelons le Gouvernement à légiférer en faveur de la vaccination obligatoire pour tous, et à confier cette tâche aux entreprises, les mieux placées pour la réaliser sereinement en un temps record.