Interview de Guillaume Cairou pour Easy Bourse.
Défaillances des entreprises en France : nous nous attendons à une année 2013 pire que 2012
Quel bilan peut-on faire en matière de défaillance des entreprises en 2012 ?
Les entreprises françaises sont au plus mal. Selon la Banque de France, les défaillances d’entreprises ont progressé en octobre, en rythme mensuel, de 8% avec 5330 cas. La défaillance des entreprises intermédiaires a bondi sur un mois de 48,1%. Sur 12 mois, les défaillances s’élèvent à 60448. Cela représente une hausse de 1,5%.
Mis à part certains secteurs, comme la construction qui a su tirer son épingle du jeu en affichant une légère baisse de 0,8% sur un an, la quasi-totalité des autres secteurs se sont enfoncés dans le rouge. L’augmentation des défaillances est de 15,1% dans les transports, de 11,8% dans l’immobilier.
Qu’en est-il du reste de l’année ?
Selon les chiffres provisoires de la Banque de France, les défaillances seraient en augmentation de 1% à fin novembre. Vous évoquez dans votre analyse le fait que la situation des défaillances des entreprises souffre d’un déni de réalité de la part des gouvernements et d’une déconnexion de cette réalité de la part de nombreux commentateurs. A quoi faites-vous allusion plus précisément ?
Beaucoup prétendent que les défaillances n’affectent pas de grandes entreprises, et qu’une large part de l’augmentation intéresse des entreprises sans salariés. Cela n’est pas exact et surtout cela revient à minimiser l’importance des défaillances des petites entreprises. Or le tissu entrepreneurial de la France est composé à plus de 98% par des entreprises de moins de 20 salariés. Il est en cela dramatique de constater autant de défaillances y compris de petites entreprises.
Qu’escomptez-vous pour 2013 ?
La France pourrait connaitre cette année sa pire récession d’après guerre. Un économiste comme Patrick Artus envisage même un recul du PIB de 1,2% pour cette année. Le maintien du triple A semble d’autant plus tenir du miracle lorsque l’on voit la stratégie déployée par le gouvernement pour réduire le déficit des comptes publics à 3% du PIB et celui des comptes extérieurs. Les autorites au pouvoir préfèrent agir sur la fiscalité plutôt que sur les coupes des dépenses, soit le contraire de ce que préconisaient la plupart des économistes et le président socialiste de la Cour des comptes, Didier Migaud.
Dans ces conditions, nous nous attendons à une année 2013 pire que 2012.
Lors des premières années de crise, plusieurs amortisseurs sociaux ont permis de limiter les répercussions négatives. Les entreprises s’étaient servies des CDD et des contrats d’intérim. Des mesures de réduction du temps de travail ont été utilisées. Des vagues de licenciements ont ensuite été décidées. Les entreprises peuvent beaucoup moins compter sur ces amortisseurs.
Vous faites un parallèle entre la situation en France et la situation en Allemagne… ce qui est assez courant. Quels principaux enseignements émergent pour vous de cette comparaison ?
Les défaillances des entreprises françaises sont près de deux fois plus élevées que celles des entreprises allemandes. Depuis environ 10 ans, on a pu dénombrer 30 099 défaillances d’entreprises en Allemagne contre 50 485 défaillances en France. Cela s’explique par le fait que les entreprises allemandes sont majoritairement de plus grande taille que les entreprises françaises et donc plus robustes face aux chocs. Elles sont également à plus grande valeur ajoutée donc plus compétitives et plus profitables.
La France n’a que 100 000 entreprises exportatrices, 15% de moins qu’en 2002. L’Allemagne en a plus de 250 000.
Les conséquences de ce décalage sur l’économie française sont désastreuses. Le déficit commercial en 2012 s’élève pour la France à 70 milliards d’euros alors que l’Allemagne a dégagé un excédent de 160 milliards d’euros. L’Hexagone représente 4% de parts de marché dans les exportations de marchandises dans la zone euro, et 2% au niveau mondial.
Face a cette situation, une interrogation se pose va-t-on continuer à se résigner face à cette tendance inquiétante ou s’efforcer d’analyser les raisons qui expliquent cette différence et s’atteler à les traiter.
N’est il pas trop tard pour combler ce gap ?
Il n’est pas encore trop tard pour le combler. Cependant si les autorités continuent à mener une politique anti entrepreneuriale, il deviendra trop tard.
Que préconisez-vous pour tenter de limiter les dégâts et restaurer l’esprit d’entreprise en France qui, selon vous, est aujourd’hui casse ?
Il est primordial d’agir au niveau de la fiscalité pour mettre fin à la cassure de nos entreprises. Face à l’accumulation des nouvelles mesures fiscales défavorables, les chefs d’entreprise ont perdu le peu de moral qui leur restait. Les impôts directs et indirects ont été augmentés de 30 milliards d’euros. La fiscalité des entrepreneurs a été alignée sur celle des indépendants.
Dans ce climat asphyxiant, les plans sociaux se sont multipliés, les investissements ont plongé, le chômage s’est envolé.
Il faut aussi agir sur la compétitivité cout. Les produits français s’exportent mal car ils sont vendus chers. Le cout du travail en France est 20% supérieur à celui de l’Allemagne. Le contrat de travail manque de souplesse. Il en résulte que nous avons 3 millions de CDI en France contre 18 millions de CDD. Mettre un terme un cette dualité-en sécurisant davantage les CDD et en assouplissant les CDI-est impératif.
Des mesures sont nécessaires pour favoriser l’innovation et améliorer la compétitivité des produits. Nos entreprises ne fabriquent pas les produits qui correspondent à la demande mondiale, connaissent une insuffisance dans la R&D privée et accumulent du retard dans les technologies de l’information et de la communication. Cela aboutit à des entreprises non rentables.
Agir sur les délais de paiement serait une autre manière de venir au secours de nos entreprises. 25% des défaillances sont dues à des problèmes de trésorerie. Entre 2007 et 2011, les défaillances en raison des délais de paiement ont crû de 60%. Il faut travailler au niveau de l’assainissement de la trésorerie des entreprises.
Il faudrait réfléchir, enfin, à une agence des startups françaises pour confier à des entrepreneurs bien établis le mentorat de jeunes entrepreneurs. Ceci aiderait à restaurer l’esprit d’entreprise et à voir l’éclosion d’entreprises innovantes, de champions nationaux comme Google ou Facebook. C’est ce que je fais au niveau de l’Institut du mentorat entrepreneurial au sein de la Chambre de commerce.
Pensez-vous que certaines de ces mesures pourraient voir le jour dès cette année…
Nous ne pouvons que l’espérer auquel cas nous aurons la quasi disparition des auto-entrepreneurs, et un affaiblissement d’autant plus prononcé du tissu entrepreneurial.
Propos recueillis par Imen Hazgui